À l’issue de la COP27 – la récente Conférence des Parties des Nations unies –, les résultats concernant les principaux points de l'ordre du jour sont mitigés. Nous estimons néanmoins que l'événement fera date pour la manière dont il a modifié l’approche globale du changement climatique.
Pour la première fois au cours de ces dernières années, les pays émergents ont été au centre de l’attention, façonnant l'ordre du jour et prenant une place conforme à l’importance de leur rôle dans la réponse mondiale au changement climatique. Comme l’a rappelé un orateur, « la bataille contre le changement climatique sera gagnée ou perdue en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine ».
Les pays émergents ont ainsi imposé deux sujets essentiels à l'ordre du jour. En premier lieu, l’adaptation – la nécessité pour les pays, les industries et les consommateurs d’anticiper les impacts physiques du changement climatique et d'adapter leurs comportements en conséquence. En second lieu, les pertes et dommages – un sujet qui concerne la responsabilité des impacts climatiques négatifs. Sous la pression du monde émergent, l'accord de la COP27 a inclus une feuille de route prévoyant la création d'un fonds pour les pertes et dommages.
Une victoire modeste pour l’adaptation, mais plus nette pour les pertes et dommages
Les thèmes de l'adaptation et des pertes et dommages sont directement liés à l'ampleur et aux aspects concrets des impacts du changement climatique, ainsi qu’aux coûts associés. Actuellement, seuls 7,5 % des financements liés à la lutte contre le changement climatique sont consacrés à l'adaptation, le reste visant la réduction des émissions de carbone. Selon un rapport de la London School of Economics and Political Science publié durant la conférence, plus de la moitié des 2 400 milliards USD annuels nécessaires pour financer les efforts de transition des pays émergents d’ici 2030 proviendront de sources extérieures.
Dans ce contexte, les participants se sont engagés à débloquer 3,18 milliards USD sur cinq ans pour financer les systèmes d'alerte précoce, une modeste victoire pour l'adaptation. Étant donné que l'adaptation était à l'ordre du jour pour la première fois, cet accord est encourageant malgré son montant relativement faible. Conçu pour aider les pays les plus pauvres à réparer les dégâts causés par le dérèglement climatique, l'accord visant la création d'un fonds pour les pertes et dommages – une autre première à l'ordre du jour – constitue une victoire plus nette.
Si la mise en place du fonds prendra du temps, le texte de l'accord envisage, au-delà du rôle joué par les pays développés, l’appel aux ressources des institutions financières et d'autres organisations. La première étape consistera en la création d'un comité de transition chargé d'étudier les moyens de rendre le fonds opérationnel, une question qui sera examinée lors de la COP28 l'année prochaine.
La réduction des émissions exige une action plus rapide
Les données publiées lors de la conférence ont souligné l'urgence du défi climatique. Selon la Cinquième évaluation annuelle du climat du gouvernement américain, les États-Unis – historiquement le plus gros pollueur – se sont réchauffés 68 % plus vite que la planète dans son ensemble au cours du dernier demi-siècle.
De son côté, l'Organisation météorologique mondiale note dans son Rapport 2022 sur l'état provisoire du climat des taux inédits d'élévation du niveau des mers, des vagues de chaleur océaniques records et de nombreux phénomènes météorologiques sévères. La planète s'est déjà réchauffée de 1,15 degré Celsius, ce qui laisse peu de marge de manœuvre pour atteindre l'objectif de 1,5 degré fixé par l'Accord de Paris.
Compte tenu de l'urgence qui en découle, les mesures prises pour réduire les émissions ont suscité une déception générale. Invitant à accélérer « les efforts visant l'abandon graduel de l’énergie à base de charbon et l'élimination progressive des subventions inefficaces aux combustibles fossiles », l'accord final de la COP27 n’a pas mentionné l’abandon progressif de tous les combustibles fossiles. Cette formulation permet un recours accru au gaz naturel, certes plus « propre » que le charbon, mais responsable de l’émission d'importantes quantités de CO2 et de méthane. En outre, l'accord prévoit que les pays renouvelleront leurs objectifs tous les cinq ans, et non pas tous les ans. Enfin, contrairement aux COP précédentes, il n’est plus fait mention d’un pic d'émissions en 2025.
Partenariats : la clé pour des solutions de financement efficaces
En termes de financement, il s’agit de mieux orienter les capitaux vers les marchés émergents, notamment pour soutenir les efforts d'adaptation et les projets bas carbone. Dans ce contexte, les investisseurs doivent pouvoir compter sur l’engagement des gouvernements en faveur de la transition énergétique et un flux de projets régulier.
Cet objectif requiert un nouveau type de partenariat entre les organismes publics et le secteur privé, susceptible de dépasser les interactions traditionnelles entre les institutions de financement du développement et les gouvernements. Il convient d’établir des structures plus innovantes et impliquant un large éventail de parties prenantes pour garantir un gisement de projets à une échelle appropriée.
Ces partenariats devront promouvoir et faciliter des approches innovantes de financement public-privé incluant le cas échéant des concessions et des financements philanthropiques ou mixtes, le financement du développement soutenant d'autres formes de financement. Il est essentiel d'établir des liens avec les partenaires sur le terrain et d'utiliser les banques et les services financiers locaux et internationaux.
À titre d’exemple, l'Afrique du Sud a destiné un plan de financement de 8,5 milliards USD fourni par les pays riches au démantèlement de centrales au charbon et au développement des énergies renouvelables. Par ailleurs, les États-Unis et le Japon font partie d'un groupe de pays offrant à l'Indonésie jusqu'à 20 milliards USD pour éliminer le charbon de sa production d'électricité.
L'adaptation et les risques physiques connexes ont également mis en évidence le rôle des assureurs lors de la COP27. Les entreprises les plus avancées dans ce domaine s'associent aux gouvernements pour développer des réseaux axés sur la réparation des actifs, afin de privilégier la résistance au changement climatique et de préparer l'avenir. Ces réseaux réfléchissent notamment aux opportunités commerciales qu'offre la réduction des risques liés aux actifs critiques pour la transition, les assureurs considérant de leur côté que les actifs « adaptés » sont moins risqués. Parallèlement, l'amélioration des données pour l'alerte précoce, la surveillance et d'autres utilisations représente également un impératif.
La compensation carbone et le rôle de la biodiversité
La compensation carbone et les marchés du carbone, qui devaient initialement dominer la COP27, se sont fait voler la vedette par l'adaptation et les pertes et dommages. Toutefois, une déclaration du Fonds monétaire international estimant que l’objectif de 1,5 degré exigeait un prix du carbone fixé à 75 USD/tonne a fait les gros titres.
Les États-Unis ont présenté un Accélérateur de transition énergétique : cette initiative vise à créer une nouvelle catégorie de compensations carbone fondées sur des investissements qui accélèrent les projets d'énergie renouvelable ou la résilience dans les pays émergents, mais on peut redouter qu’elle réduise la motivation des gouvernements et des entreprises à supprimer ou limiter leurs propres émissions.
Les débats concernant les compensations carbone se sont concentrés sur les solutions fondées sur la nature – plantation d'arbres, projets agricoles ou préservation des forêts – et les opportunités qu’elles représentent pour les pays émergents. L'accent a également été mis sur le rôle de la nature et de la biodiversité dans la lutte contre les risques physiques associés au changement climatique.
L'évolution des opportunités et la nécessité d'une transition juste
Les discussions sur les éventuelles opportunités commerciales liées à la transition pourraient inaugurer une « deuxième ère » du financement climatique.
La première ère était concentrée sur l'établissement de normes, la prise d'engagements et la montée en puissance des énergies renouvelables sur les marchés développés. La deuxième ère, axée sur la mise en œuvre et l’action, pourrait cibler les domaines suivants : modes de consommation durables, décarbonation des systèmes alimentaires et des bâtiments, développement des technologies et matériaux émergents, et renforcement du rôle de la nature et des énergies renouvelables sur les marchés émergents. Les entreprises prennent désormais en compte la demande des consommateurs pour des processus, systèmes, produits et services fondés sur la nature et respectueux du climat. Mais elles ont également demandé aux gouvernements de faire davantage pour orienter les dépenses des consommateurs et soutenir les entreprises qui développent des biens et services respectueux de l'environnement.
En outre, il est essentiel d’assurer une transition juste qui ne laisse pas certains groupes sur le bord du chemin, alors qu’on manque de compétences en matière de durabilité et de climat. L'investissement dans l'éducation et la formation doit être une priorité pour le secteur public, tout comme la promotion des entrepreneurs et des jeunes entreprises impliquées. Cet impératif s'applique non seulement aux entreprises, mais plus largement aux marchés développés et aux sociétés de services financiers.
Les investisseurs doivent sortir de leur zone de confort
Plusieurs intervenants ont souligné la nécessité pour les investisseurs de comprendre et de gérer les risques d'adaptation concernant les émetteurs, en leur accordant la même importance qu’aux réductions d'émissions – l’objectif principal à ce stade.
Les investisseurs des marchés de crédit devront suivre attentivement les discussions sur la structure et les mécanismes de financement du fonds pour les pertes et dommages : cet instrument pourrait en effet devenir l'une des principales interfaces entre le changement climatique et les risques pays, notamment pour les pays à faible revenu.
Les investisseurs institutionnels sont conscients que les accords de financement mixte ou de partenariat renforcés les obligeront à sortir de leur zone de confort pour investir directement dans des infrastructures ou des entreprises privées plutôt que publiques, mais aussi pour s'engager sur de nouveaux marchés en acceptant des contreparties qui présentent différents types de risque politique.
En bref, si le rideau est officiellement tombé sur la COP27, les investisseurs ont du pain sur la planche pour refléter ses conclusions dans leurs recherches et leurs stratégies.